On juge la grandeur d'une nation à la façon dont les faibles sont traités (Ghandi)

Faim de Parcours
Alain Bron
Editions In Octavo 2023

 

Alain Bron est ainsi : il vous fait revisiter l’histoire et ses recoins peu glorieux, vous traine dans une balade que d’aucuns fuiraient : l’hôpital psy, l’EHPAD et pourtant vous ne décrochez pas, et même, vous en redemandez.
De quoi s’agit-il ici ? Faisons le catalogue des éléments déterminants de l’intrigue.
Une équipe de la brigade criminelle de Paris, celle du Quai des Orfèvres, tétanisée par la proximité de son déménagement au « Bastion », l’autre 36. Un vieillard dont tout indique qu’il vit sans doute ses derniers jours et qui se presse d’achever le grand projet de sa vie : une vengeance. Un étudiant que les travaux de fourmis d’une enquête criminelle passionnent, une secrétaire à la veille de la retraite et un pan de notre histoire que la plupart des livres d’histoires passent sous silence.
Avec ces ingrédients, Alain Bron tricote une histoire à hauteur d’humanité : Pierre, 92 ans, a décidé de se venger avant de mourir.  Ceux qui, entre 39 et 45, ont condamné les patients des hôpitaux psychiatriques à la pire des fins possibles, celle à petit feu quand la faim vous consume, ne doivent pas mourir dans le confort. Les honneurs et tutti quanti doivent leur être retirés. Peu importe que soixante-dix ans soient passés. Il ne pardonnera jamais pas la mort affreuse de sa mère en 1944.

Comme c’est un grand-père branché, il invente, pour faire le ménage avant son grand départ et grâce à ses recherches sur Internet, tout un tas de procédés qu’on peut qualifier de baroques. L’utilisation d’un drone, par exemple… qui laisse les pandores bien dubitatifs.

Je ne dévoilerai pas le déroulement de l’enquête, au parcours irréprochable, menée par une équipe qui oscille entre Simenon et San Antonio.  Je saluerai plutôt la grande tendresse avec laquelle l’auteur raconte « ses petits vieux ». Faut-il rire ou être terrifié par le portrait qu’il fait de l’EHPAD ? C’était sans doute une gageure que d’y implanter un suspens, mais cela fonctionne très bien, et c’est l’occasion d’une belle galerie de portraits et d’une interrogation. Ce n’est sans doute pas ce dont chacun rêve pour l’avenir. Alors pourquoi l’accepter pour nos prédécesseurs ?

Une pincée d’histoire avec rappel de mémoire oublieuse par décret, un zest de suspens, une tension dramatique, une peinture délicate des personnages dont la tendresse n’exclut pas un humour parfois cruel et des policiers de fiction hautement sympathique. Ce Faim de Parcours est une réussite dans toutes ses composantes y compris le rappel historique et le renvoi à la conscience nationale. Ou plutôt à son absence.