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Le Silence
Dennis Lehane
traduit par Francois Happe
Gallmeister 2023

 

May Pat est une dure à cuire. Veuve, remariée, récemment séparée, ayant perdu un fils, elle a déjà rencontré de sacrées épreuves. La vie ne l’a pas épargnée, mais à Boston, en ces années-là, 73, 74,  une Irlandaise peut se reposer sur sa communauté pour tenir le coup.

Si la solidarité n’est pas un vain mot, si la communauté est une entité vivante et solide, c’est aussi possiblement un carcan. Quand sa fille Julie, une beauté de 17 ans dotée de tous les attributs de la fragilité adolescente disparait, c’est pourtant un silence étrange qui tombe alors que Mary Pat, pétrie de la terrible certitude du malheur, frappe éperdument à toutes les portes.

Boston, années 70 : le code du Silence est le plus important de tous. On ne parle pas de ce qui passe en interne (comprendre dans les quartiers dominés par la mafia irlandaise) ni à la police, ni à des étrangers.

Dans le mê temps, alors que la Mary Pat perd pied devant la menace de perdre son dernier enfant, la ville est en émoi. La justice a décidé de faire droit aux revendications des associations noires qui luttent contre la ségrégation en imposant la diversité : une partie des enfants des quartiers « blancs » seront emmenés en bus dans des écoles « noires » et vice versa. Mais, parmi la communauté irlandaise touchée par le processus, et surtout au sein de la hiérarchie mafieuse, on ne l’entend pas de cette oreille. Pas question de se mélanger.

Pourquoi la mort d’un jeune noir se trouve-t-elle évoquée chaque fois que Mary Pat essaie de reconstituer les derniers moments connus de Julie ? Mary Pat voudrait le savoir, la police aimerait le comprendre, mais la mafia impose un silence total sur le sujet tant de la disparition de Julie que sur la mort d’un jeune black passant accidentellement dans le quartier au mauvais moment quand des esprits déjà échauffés ont arrosé leur colère à la bière et aux pétards.

Le personnage central de mère de ce roman est infiniment touchant. Pour l’amour inconditionnel qu’elle porte aux siens, pour sa force pourtant déjà tellement éprouvée, pour sa lucidité désespérée.

Autour, l’ex-mari, les représentants de la mafia, ou le flic qui vit avec ses sœurs, font finalement pâle figure.

Il y a bien des leçons  à retenir dans ce roman, et bien des questions. La société américaine a-t-elle tellement évolué dans son racisme ordinaire ? Les femmes ont-elles tellement gagné en indépendance ? L’exemple de cette « femme de peu », dont le boulot ingrat en maison de retraite ne fait pas rêver, peut donner un peps d’enfer. Non, je ne « spoilerai » pas mais je dirai quand même que malgré la fin, inévitable, le feu d’artifice est sacrément épatant.

Est-ce vraiment le dernier roman de Lehane ? Je ne peux pas croire un instant que le chantre de Boston et de ses banlieues n’ait soudain plus rien à nous en dire. Ce serait un sacrilège quand on manie la langue comme ici dans une écriture toujours plus maitrisée alternant discours indirect, dialogues, scènes d’action, avec une maestria sans défaut.

Tag(s) : #Livre Numérique, #critiques
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