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Il fallait pourtant bien que ce moment-là arrive. Comment vous dire... passer cinq semaines dans la compagnie exclusive d’un auteur, puis arriver au bout de ce qui est disponible en français. Désarroi ! C’est que le bougre est Italien, et le seul espoir qui me reste, c’est de voir les traducteurs se décarcasser. Allezzzzzz ! Faites ça pour moi, pour tous les Français qui ont découvert Naples au travers des personnages de papier de Maurizio de Giovanni.
Le Naples des années 1930, avec la montée du fascisme, et le Naples d’aujourd’hui. A-t-elle tellement changé, cette ville ? Sans doute pas tant que ça. Politiquement, oui, heureusement. Bien sûr, les voitures ont tout envahi, et pour un enquêteur, l’étude de la téléphonie a remplacé les gamins qui portaient en courant des messages écrits à la plume. Mais Naples reste une ville où l’on chante toujours à gorge déployée.
On dispose donc en France actuellement de deux séries nées de la plume de Maurizio de Giovanni. Car ce bougre d’homme écrit en série : il y a le commissaire Ricciardi, celui d’autrefois, qui ne porte jamais de chapeau, car cela lui donne des migraines et l’inspecteur Lojacono, contemporain, qui fuit sa Sicile natale et de douloureux soupçons de collusions mafieuses.
L’un comme l’autre, ces policiers sont des humanistes. Pas très doués avec les femmes, mais attentifs, intuitifs. Dans le premier cas, on appréciera une légère touche de fantastique : Ricciardi perçoit ce qui reste de l’âme après une mort violente. Dans l’autre, on appréciera le père affectueux, l’homme incertain, l’adepte de l’observation silencieuse. Ils ont en commun d’avoir souvent des relations difficiles avec leur hiérarchie, mais le développement de Lojacono –série contemporaine- évolue vers plus d’espoir tandis que Ricciardi semble condamné à une douloureuse solitude, heureusement compensée par la collaboration avec une sorte de Sancho Pazsa : le brigadier Maïone homme simple et chaleureux.
Juste pour le plaisir de les rencontrer une dernière fois, sauf à relire, mais ce sera alors sans le plaisir inoubliable de la première fois, voici un récapitulatif rapide des séries en question :

 

Dans la série Ricciardi, il y a d’abord les saisons : dans le premier paru en 2007 en Italie, traduit par Odile Rousseau, pour  Rivages Noir  en 2011, L’Hiver du commissaire Ricciardi, la victime est un ténor odieux, mais doté d’une voix magnifique. C’est l’occasion de rencontrer Livia, la veuve, une cantatrice, qu’on retrouvera tout au long des différents romans, qui va s’éprendre follement de Ricciardi. En vain ? C’est un peu plus compliqué que cela. Pour nous, c’est l’occasion de découvrir les deux personnages secondaires qui accompagnent le commissaire tout au long de la série et ne sont pas pour rien dans le bonheur de lecture ; le médecin au fichu caractère peu compatible avec le fascisme naissant : le docteur Modo ainsi que le brigadier Maïone, homme au cœur large et puissant, qui le secondent dans ses enquêtes.
 

En 2008, dans Le Printemps du commissaire Ricciardi, Rivages Noir en 2013, Ricciardi cherche à comprendre pourquoi on a assassiné une pauvre vieille tireuse de cartes. Qu’a-t-elle pu voir - ou ne pas voir ? - dans l’avenir, qui lui soit devenu fatal ? Mais Riccciardi est tout à la fois mécréant et rétif aux obscurantismes. Son scepticisme lui permettra de décrypter l’affaire.


 

2009 : L'Été du commissaire Ricciardi, Rivages Noir, 2014 : après les frimas et les prémices trompeurs du printemps, voici l’implacable canicule de l’été. Du genre qui vous anéantit, vous empêchant même de penser. C’est une duchesse qu’on retrouve occise chez elle, alors que l’aristocratie pèse encore de tout son poids dominant, dans le contexte d’un fascisme sérieusement émergeant, et avec la délicate évocation des amours homosexuelles interdites.


 

En 2010, traduit en 2015, L'Automne du commissaire Ricciardi, toujours chez Rivages, Ricciardi, avec la sensibilité qui le caractérise, décide de rendre justice à un des sugnizzi, ces gamins de la rue, trouvé mort un triste matin dans la rue. De froid, de faim, comme d’autres ? Ou victime de mauvais traitements ? Plus que jamais le formidable médecin qui seconde Ricciardi, mal pensant politiquement, lui sera de grand secours alors que le Duce se prépare à visiter Naples, et que le climat policier est exécrable. Poignant.

Avançons dans le temps : après la série saisonnière, ce sont les fêtes, parfumées, gourmandes, qui vont rythmer la vie de Ricciardi.


 

2011 Le Noël du commissaire Ricciardi, même traductrice, même édition française : Rivages /Thriller, 2017. En ces fêtes célébrant la naissance de Jésus et la famille, c’est la mort d’un officier fasciste et de son épouse que Ricciardi doit élucider dans un contexte politique de plus en plus pesant et délicat pour le commissaire.

 


 

2012 Les Pâques du commissaire Ricciardi, 2019 en France, où l’on découvre la vie des prostituées en maison. Pas les pauvresses édentées du port, mais les beautés qui accueillent leurs clients fortunés comme des amis. Ça ne les empêche pas de souffrir ou de mourir, comme l’immensément belle Vipera, celle dont la beauté fut une malédiction.


 

2014 L'Enfer du commissaire Ricciardi, Rivages/Noir, 2019, est une plongée dans le cauchemar d’une passion tardive quand la carrière n’a plus de sens, ou quand le temps qui passe a tout laminé pour certains alors que d’autres n’oublient rien. Un nouveau mystère pour Ricciardi qui doit comprendre pourquoi et par qui un célèbre obstétricien a été propulsé au travers de sa fenêtre du quatrième étage.


 

2015 Des phalènes pour le commissaire Ricciardi, traduit par Odile Rousseau, Rivages/Noir. Grand format », 2020, le dernier, voit encore et toujours Ricciardi coincé au bord d’un amour qu’il se refuse, un autre qui le poursuit. (à ce propos voir la note plus longue écrite après la lecture qui pour moi, fut la découverte de Ricciardi et de son créateur sur ce blog ). Cette fois, il doit sauver un innocent qui s’accuse mystérieusement d’un meurtre qu’il n’a pas commis alors que l’aristocratie et la bourgeoisie s’envisagent réciproquement avec mépris.

Tout espoir n’est pas perdu, mais il faut supplier Rivages, et la traductrice de la série Ricciardi, Odile Rousseau. En effet, de manière assez incompréhensible, le premier de la série en 2006 : Le lacrime del pagliaccio ainsi que quatre romans faisant suite à la dernière traduction, parus en Italie déjà,
ne sont toujours pas publiés en France. Pas encore, il faut l’espérer. Allezzzzzz ! un effort, ce serait un bien beau cadeau. Madame Rousseau, prenez votre stylo, allumez votre ordinateur, et ouvrez-nous les portes de ces pages pleines de douleur et de joie, de gourmandise et de musique.

Dans la série Lojacono, entamée en 2012, ce sera plus vite fait. Ce ne sont que trois pauvres romans sur sept qui sont traduits ; la situation est grave ! Urgente !

 

La Méthode du Crocodile, qui entame le bal, nous permet de faire la connaissance d’un inspecteur crucifié et abandonné à des soupçons injustes, rejeté, muté, séparé de sa femme qui le quitte, privé de sa fille qu’il aime, toutes deux restées en Sicile. Le tueur pleure, sans cesse, assassinant à répétition des jeunes gens sans connexion apparente, des larmes pathologiques et vénéneuses. Entêté, intuitif, Lojacono finira, bien sûr, par arriver jusqu’à lui. Mais ne sera-t-il pas trop tard ?

 

Dans La Collectionneuse de Boules à Neige on navigue dans la bourgeoisie napolitaine, loin des bassi misérables du XXieme siècle (habitations insalubres des quartiers pauvres). Mais les amours et les désamours, les rivalités, l’argent, provoquent encore et toujours les mêmes dégâts. Lojacono a intégré une équipe étrange de flics réprouvés, y a trouvé sa place, et le groupe des « Salauds de Pizzofalcone » se constitue, galerie de policiers plaisants pour le lecteur, haut en couleur, à l’épaisseur touchante. Qui a tué la femme du notaire ? La réponse au « pourquoi ? » sera décisive.
 

Le dernier disponible pour l’instant, titré Et l’Obscurité Fut, est poignant, renvoyant chacun des protagonistes du roman, et le lecteur, à ses pires craintes : la disparition de son enfant, l’enlèvement pour d’obscures raisons sans doute mercantiles. L’amour, l’argent, encore, les deux grands moteurs de Giovanni.
On l’aura compris, je crie « Encore », car me voici toute déconfite, privée de cet univers plein des parfums de l’Italie, ayant dû quitter à regret des amis de papier.

Le son, les couleurs, les parfums. La musique, les chansons, les cris, la gastronomie. L’amour, la jalousie, le désir, la haine. La bêtise, la finesse, les relations familiales. Et l’écriture ! Car cet auteur écrit avec des délicatesses poétiques, des lignes pesées, des paragraphes calibrés d’une justesse totale. Tout, donc, avec la musique particulière de langue d’un écrivain du niveau des autres grands Italiens qui nous racontent un pays frère et mystérieux à la fois. Les Camilleri, De Cataldo... qui nous en ouvrent l’âme secrète.
Notre chance, à nous lecteurs compulsifs, c’est que ce diable d’homme ne cesse d’écrire : plus d’un roman par an, et des nouvelles en avalanche. L’espoir est permis, donc...
Je remercierais presque ce deuxième confinement qui m’a posée au bord de la cheminée, munie d’une tablette et d’une connexion.
Au revoir, donc, monsieur de Giovanni, sachez que je vous attends avec impatience.

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