Le Roi Lézard
Dominique Sylvain
Editions Viviane Hamy, collection Chemins Nocturnes, mars 2012
Est-ce parce qu’il est sorti il y a encore peu de temps ? Ce « Roi Lézard » a pour l’instant rencontré peu d’échos dans la presse. Il le mérite pourtant.
Cette discrétion pourrait être relative à l’annonce honnête de l’éditrice et de l’auteure : ce reptile là est fils d’un « Travesti… ». C’est que Dominique Sylvain s’est fait une spécialité de réécrire ses romans vieux d’une dizaine d’année, parus chez Viviane Hamy. Elle nous a déjà offert une réécriture de « Baka » d’abord, puis de « Sœurs de Sang ». C’est aujourd’hui « Travesti » qu’elle reprend. Il ne s’est pas agi pas pour elle de déguiser, changeant quelques oripeaux vieillots pour du chiffon tendance…Si déshabillage il y a eu, il est allé jusqu’à l’os.
Cette originalité littéraire méritait un intérêt curieux.
Louise Morvan, détective privée, a hérité de l’agence de son oncle, Julian Eden. La mort dramatique de celui-ci, jamais élucidée, est d’un poids trop pesant pour la jeune femme. Près de deux décennies plus tard, elle se lance sur les traces froides du tueur de son oncle. Elle n’affronte pas seule ces démons passés. Serge Clementi, son amant, commissaire à la brigade criminelle, protège l’impétueuse Louise. Malgré une enquête prenante sur un tueur en série de SDF sur les quais de Seine, il va lui prêter son concours. Il y a aussi Casadès, flic en retraite, à qui autrefois le dossier fut retiré. Reprendre ce dossier, c’est pour tous retrouver l’ambiance des années soixante-dix, rencontrer les femmes qui furent proches de Julian Eden, le séducteur, se pencher sur sa vie privée. Pour Louise, le danger est grand, en se confrontant à la réalité, de perdre l’image idéale d’un oncle adulé.
La témérité de Louise, sa fraîcheur, son amour inconditionnel pour le souvenir de son oncle vont faire l’effet d’un grand coup de pied aux témoins du passé. Surtout à ceux qui sont rentrés dans le droit chemin, ou font semblant, après les années folles du rock et du LSD. Le fantôme de Jim Morrisson, une starlette slave, une aristocrate mourante, un tueur halluciné habitent les pages du « Roi Lézard » et lui donnent le goût doux amer de la jeunesse enfuie.
Avec ce roman, on n’est pas, comme avec « Guerre Sale » ou « la Nuit de Geronimo » dans l’évocation d’un problème de société. Cette aventure vaut surtout par le portrait de personnages attachants par leur originalité et un déroulé d’intrigue faisant la part belle à la fantaisie.
Je me suis livrée à une étrange expérience. Juste après « Le roi Lézard », j’ai relu « Travesti », avec des zigzags de l’ancien au nouveau et vice versa. C’était troublant. Je rencontrais de temps à autre un dialogue, une portion de paragraphe identique, mot pour mot, immergé dans de grandes portions de texte neuf. Comme des pépites de chocolat cachées dans une mousse au caramel. On tombe soudain sur un autre goût qu’on reconnaît, mais le mariage audacieux réjouit la papille davantage que le caramel ou le chocolat seuls. Une maison neuve avec ses meubles d’hier ? Votre conjoint après un régime draconien et une cure de fitness ? Je vous laisse libre de choisir l’analogie qui vous tente le plus.
L’étrangeté de l’entreprise m’a conduite à poser la question à Dominique Sylvain.
Pourquoi réécrire ce roman relativement récent ?
Dominique Sylvain me répond :
J'ai décidé de réécrire mes trois premiers romans car je les considérais comme non aboutis. Tout avait commencé avec
"Baka!" qui était épuisé et que mon éditeur souhaitait rééditer. En le relisant, j'ai décidé de le revoir entièrement car je vivais au Japon pour la deuxième fois et mon regard sur ce pays avait
évolué. Concernant "Travestis", j'ai eu une idée irrésistible (du moins pour moi), celle d'augmenter la place de la musique par rapport à la première version. Et c'est pour cette raison que Jim
Morrison fait partie de la distribution du Roi Lézard. Il a vécu à Paris, y est mort et a laissé quelques bandes musicales derrière lui. Concernant sa mort, je me suis basée sur une thèse qui
vaut ce qu'elle vaut. De toute façon, personne ne sait rien car les deux témoins directs sont morts, eux aussi. D'une manière générale, j'ai repris ce roman qui me tenait à coeur pour en faire ce
qu'il devait être. ça n'est pas rentable car, en général, les journalistes ne s'intéressent pas à une réécriture (sauf un, Plougastel du Monde, et toi bien sûr). Mais artistiquement, je ne
pouvais pas faire autrement. Et je suis contente du résultat. Je l'ai réécrit il y a trois ans et l'ai relu récemment plusieurs fois. Avec la distance, je sais que j'ai atteint la fluidité que je
recherchais. Et l'histoire est complètement différente (hormis la partie avec le tueur des quais, qui n'a été que réécrite sur le plan stylistique mais pas modifiée sur le fond), et plus
percutante, à mon avis. Ce n'est pas que je ne puisse pas me défaire de mes écrits. C'est plutôt que tout est lié. Mes romans s'inscrivent dans un travail général, une recherche personnelle. J'ai
toujours eu un problème pour bâtir une bonne histoire. Je me suis améliorée un peu avec les années. Et du coup, "Travestis" devenu "Le Roi Lézard" est, je crois, une bien meilleure histoire. Plus
sensible aussi. Chaque personnage est plus investi que dans la première version. Et je vais jusqu'au bout des idées, je ne me contente pas d'esquisser. Ce qui est aussi l'un de mes défauts.
Entre-temps, j'ai lu, appris en lisant les autres. Et j'ai réfléchi. "Travestis" était intéressant, je suppose, mais bordélique et assez invraisemblable, artificiel. Plus cérébral que réellement
sensible. Je crois au pouvoir de l'émotion. Et il me semble que je suis plus exigeante avec moi-même. Dont acte.
Il faut préciser aussi que je n'ai commencé à gagner un vrai public qu'à partir de la création de la série Ingrid et Lola. je compte la continuer mais ne veux pas pour autant renier ce que j'ai
fait auparavant. Mes trois romans récrits concernent la série Louise qui n'a jamais vraiment accroché le public et la presse. je trouve cela dommage alors j'ai essayé d'injecter dans les premiers
Louise, tout ce que j'ai appris depuis 1995. Mais je m'arrêterai là. "Travestis" sera ma dernière réécriture.
Merci à elle pour cette réponse. Elle y lève un peu pour nous le voile sur le mystère intime de l'écriture.