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Les Harmoniques

Marcus Malte,

Gallimard, Série Noire, broché, 19€

 

« Tu es le clébard défoncé de lady Day. »

Mantra surréaliste, formule magique destinée à résister, que se récite « Mister » pianiste de jazz, quarantenaire, amoureux comme un collégien d’un fantôme.

Même de son vivant, Vera Nad avait tout de l’ectoplasme, promenant avec elle trop d’horreurs, de celles qu’aucun mantra ne peut tenir à distance. De celles que le Tribunal Pénal International traite plus tard, quand la grande indifférence de l’Europe s’ébroue un peu en souvenir de Vukovar.Marcus-Malte---couv_harmoniques.jpg

Cette femme apparaît, disparaît, se poste auprès du piano de Mister, des soirées durant, et il peut presque voir le collier de têtes de mort qui lui enguirlande le cou. Tous les siens disparus, la petite fille qu’elle fut, disparue, ses espoirs et son avenir, disparus. Mais eux, c’est, ce serait, par la faute de deux petits dealers réglant une affaire de fric.

Mister tremble, et se répète la triste histoire de Billie Hollyday pour faire pendant à la mort horrible de Vera, brûlée vive dans la nuit indifférente. Il n’accepte pas les évidences, et son ami Bob, seul taxi parisien à ne pas chercher de client, plonge dans son érudition pour chercher des réponses.

Marcus Malte construit un roman chorale à tonalité jazz très noire, parfois égayée par l’absurde et le comique d’une situation invraisemblable. Son personnage Mister vibre aux harmoniques que seul il entend. Ces notes secrètes qui restent quand la musique se tait, y compris celle des canons. « Les notes secrètes, les notes derrière les notes… » .

L’auteur nous parle d’amour derrière l’amour, de la vie derrière ses apparences, et la tonalité Marcus-Malte--c--Ida-Mesplede-copie-1.jpglégèrement oniriques rend certaines scènes inoubliables. Sans facilité, sans manichéisme, mais avec infiniment de poésie dans l’horreur, il nous rappelle la guerre de l’ex Yougoslavie, non sans évoquer qu’aujourd’hui, chez nous, certains vivent très bien de leurs amitiés passées.

Pour écrire sur ce roman, j’ai attendu plusieurs semaines après sa lecture. Je savais déjà que je venais de rencontrer un très beau roman, servi par un style personnel élaboré mais sans afféterie. Malte ne se regarde pas écrire. De même que l’homme ne parle pas pour ne rien dire, ce grand taiseux aime le son des mots chuchotés dans la pensée, et les marie à merveille avec la musique du jazz. L’écriture vibre d’un tempo soutenu, noir et blanc, infiniment musical…

Ne laissez pas s’éteindre ces harmoniques sans leur prêter vos oreilles. Les notes secrètes ne vous oublieront pas.

photo Ida Mesplède

 

Pour découvrir ce que Marcus Malte répond aux questions avisées de Christophe libraire passionné par le polar, suivre ce lien ci qui mène à "entre deux noirs".

Tag(s) : #critiques
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