Balancé dans les cordes
Jérémy Guez
La Tengo Editions 2012 , J’ai Lu poche, policier, mars 2013
Si vous ne l'avez pas lu à sa sortie en 2012, ne ratez pas la sortie poche de ce roman emblématique des rapports
qu'entretiennent la boxe et le polar. Voici une critique initialement rédigée pour le numéro 114 de la revue de « 813 » , les amis des littératures policières, spécial boxe
et polar.
Tony, qui déteste son prénom, est un silencieux, pris dans une spirale de sentiments intérieurs trop violents pour les
dire. Le jeune boxeur ne ressent cependant pas le besoin des mots : il a ses poings pour s’exprimer.
Au début du roman, Tony livre son premier combat professionnel. Sa victoire va être le seul moment heureux de ces deux
cents pages sans concession.
Miguel, caïd rom qui ne se déplace pas sans une escorte nombreuse entassée dans de grosses berlines, a assisté au match.
Pour le malheur de Tony, il va se reconnaître dans ce jeune homme à qui la vie n’a fait ni ne fera aucun cadeau, c’est déjà clair. Lorsque la mère de Tony, pitoyable paumée accro à la dope, se
retrouve à l’hôpital après un terrible passage à tabac, le boxeur ne le supporte pas. Mais le coupable est intouchable, sauf à obtenir la protection de Miguel, parrainage dont le
prix ne se révèlera que peu à peu.
À partir cette trame archi classique, sans surprise ni originalité (on se souvient en 2011 de l’excellent « Paradoxe
du cerf-volant » de Philippe Georget chez Jigal) Jérémie Guez arrive néanmoins à bâtir un œuvre profondément originale.
Tout repose sur son écriture, toute de sécheresse et de justesse. Pas un mot de trop. La brutalité avec laquelle il nous
balance dans la banlieue Nord ne s’encombre d’aucun pathos. Pas plus qu’il n’en met à raconter la souffrance du quotidien de Tony, qui n’a que la boxe pour refuge. Sa solitude, son manque
d’amour, son incapacité à communiquer, et même à comprendre son besoin de communiquer. Ses amitiés, rares, et l’absurdité d’une histoire qui le pousse à haïr au lieu d’aimer, à ignorer ce qu’il
voudrait, à mépriser ceux qui l’aiment.
La banlieue crade est l’univers de Tony, les dealers, ses potes d’enfance, la police, son ennemi tutélaire. Une fois planté
ce décor exclusivement gris, les flash-back à contre-pied, écrits comme le reste du texte au présent sur le rythme d’une corde à sauter tournoyante, vont vous raconter Tony. A vous de vous y
retrouver. Les phrases sont sèches comme des crochets du gauche, les mots rares, les phrases elliptiques campent le décor sans une seconde de perte de temps.
Rien de romantique dans cette boxe que pratique ici l’écrivain. Il vous travaille au corps pendant tout le roman, et c’est
lui qui vous balance dans les cordes quand vous voudriez respirer un coup, prendre une bolée de tendresse pour tenir le coup.
On peut célébrer une écriture rare, en parfaite adéquation avec le personnage et le milieu exposés. On devrait condamner
les petits maîtres du nombrilisme à lire ce roman. Son objectivité impitoyable réussit l’exploit d’un portrait d’une humanité déchirante