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Femme blessée

La publication de "Inferno" sera accompagnée de 4 lettres de l'époque. Cette correspondance éclaire les circonstances de la création de cette œuvre. Voici le début de la première lettre écrite par George Sand à Alfred de Musset…

George a 30 ans, Alfred 24, ils sont à Venise, fréquentent le cercle français. Leur liaison amoureuse est passionnée autant que tumultueuse, le couple se dispute…

Où l’auteure de La mare au diable nous relate son humiliation d’écrivain et sa tristesse de femme amoureuse. De son honneur foulé aux pieds par son amant fantasque et débauché naitra sa riposte littéraire.

EXTRAIT

Lettre de George Sand
à Alfred de Muss
et

Mon cher ami, mon pauvre enfant. Je vous dois cet aveu : la scène d’hier soir, chez le comte de ***, m’a si profondément blessée que je n’ai pas cru, dans les premières heures qui ont suivi, y voir survivre l’amitié que je vous porte en dépit de tout. Mais je suis un être positif. Les grandes émotions, si elles m’ébranlent les nerfs, ne peuvent durablement m’abattre. Et puis, de votre part, j’ai tant pris l’habitude de ces revirements, de ces railleries cruelles succédant sans transition aux transports les plus sincères, qu’à l’instar du roi Mithridate j’ai fini par m’y accoutumer, et peut-être à ne plus pouvoir m’en passer.

Quelle étrange destinée que la mienne ! Mon âme était faite pour les douces collines des devoirs domestiques. Par je ne sais quelle conjonction terrible de circonstances, elle est vouée à errer sans fin dans des défilés sauvages. C’est vous, mon pauvre ange, vous que je cherche dans ces contrées féroces, vous que je voudrais ramener dans la douceur d’une humanité paisible et sainte. Quelquefois vous vous jetez dans mes jupes en pleurant, ivre de fatigue, les yeux encore pleins de terreur et le visage maculé de boue. Alors vous implorez ma bonté, vous baignez mes genoux de larmes amères. Ces transports, hélas ! ne durent pas plus que le temps d’une ivresse. Qu’une nuit passe sur vos paupières closes, et voilà que le jour donne naissance à un viveur irritable et fatigué que la paix jette dans des accès de rage. Alors je vous perds, vous foulez aux pieds non seulement ma tendresse inquiète de mère, de sœur et d’amante, mais jusqu’à l’amitié qui l’a précédée et devait lui survivre si l’on en croit vos protestations de loyauté. Hélas ! Les paroles qui s’échappent de vos lèvres à torrents tantôt m’assaillent comme des Erinyes hurlantes, tantôt me bercent de leur douceur céleste, sans que je puisse démêler le vrai du faux, le sincère du divertissement diabolique. Mais au vrai, vous êtes toujours sincère, et chaque fois que l’un de vos démons prend le dessus, c’est toujours votre volonté qu’il emprunte.

Oui, vous m’avez profondément meurtrie hier au soir. Que vous ayez laissé courir le bruit que vous étiez l’auteur du récit libertin[1] qui circule dans toute l’Europe, hélas ! n’a rien que de très affligeant, mais n’est point étonnant pour qui vous connaît un peu. La complaisance extrême de ce récit, qui n’est point mal écrit et dont les effets d’exaltation et de désespoir rappellent en effet vos humeurs capricieuses, pour la plus effroyable débauche a pu flatter votre goût très enfantin de la provocation. Vous laissez entendre que vous en êtes l’auteur, et laissez du reste la rumeur nous en attribuer l’écriture commune. La raillerie et le sarcasme sont comme la diffamation, elles se nourrissent de la malveillance et de la jalousie des âmes trop étroites pour envisager qu’il en existe de vastes et hautes comme le ciel. Vous n’en êtes pas, enfant disloqué entre les griffes de tigre de votre malheureux génie. D’où vient alors que vous vous abaissiez avec tant de légèreté à cette fange qui crève de ne pouvoir jamais tout à fait vous engloutir ? Cette sotte personne qui riait à en perdre le souffle dans l’ombre de M*** et ne cessait de faire miroiter sous vos yeux sa gorge de neige au milieu du satin rouge, n’est-elle pas de celles en compagnie desquelles vous vous plaisiez il n’y a guère à flétrir notre amitié ?

[...]

Rappel : sortie exclusivement en numérique d’Inferno de George Sand, à partir du 1er avril 2014 à télécharger sur l’e-librairie de SKA.

Illustration Marie Brizart

[1] Gamiani ou deux nuits d’excès

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